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À la découverte des émotions (1) :

Dans le cadre du projet européen Erasmus+ LabSchoolsEurope, nous avons commencé à travailler sur les conditions qui permettent de mettre en place des pratiques démocratiques à l’école. Apprendre à vivre ensemble, dans le respect mutuel, constitue un préalable évident, mais pour de nombreux élèves, les difficultés à réguler leurs émotions constituent un obstacle majeur. En effet, comment un enfant peut-il apprendre à s’exprimer dans un groupe, à prendre en compte le point de vue d’autrui ou à argumenter s’il est submergé par ses émotions ?

Les professionnels de l’éducation se sentent parfois insuffisamment formés et sont démunis face à des débordements émotionnels que la seule injonction institutionnelle à la « bienveillance » ne permet pas d’accueillir ni de réguler. Les émotions constituent un phénomène d’une grande complexité. Aider les enseignants à mieux connaître la question des émotions, pour mieux les prendre en compte en classe, constitue l’un des points de départ du projet. À cette fin, nous avons effectué un travail de synthèse sur l’apport de différentes disciplines sur la vaste question des émotions, en sélectionnant les aspects qui nous semblaient pertinents pour les enseignants. Il sera disponible en ligne prochainement. En ces temps de confinement, nous avons décidé d’en partager des extraits sur notre blog.




Qu’est-ce qu’une émotion ?


Le mot « émotion » est un nom d’action dérivé de « émouvoir », qui vient du latin ex-movere – le préfixe ex- signifiant « au-dehors » et movere « bouger, ébranler, mettre en mouvement ». Malgré plusieurs décennies de travaux, les chercheurs peinent aujourd’hui encore à définir de façon univoque ce qu’est une émotion. L’origine de ces controverses provient « non seulement de la confusion entre les acceptions de sens commun, de la proximité avec d’autres concepts (affect, humeur, sentiment…), mais également de la diversité des cadres théoriques guidant les recherches sur les émotions (notamment béhavioristes, cognitivistes, psychanalytiques et biologiques), dont les éclairages spécifiques accentuent l’impression d’un impossible accord » (Visioli, J., Petiot, O., & Ria, 2015). En effet, comment une définition unique pourrait-elle correspondre à des expériences émotionnelles aussi diverses que la peur, la joie, la honte, la surprise, la culpabilité ou la fierté ?

Dans le champ de la psychologie et des sciences cognitives, les chercheurs s’accordent généralement sur le fait que les émotions se produisent en réponse à un stimulus et que le phénomène s’accompagne de changements physiologiques, d’évaluations cognitives, de tendances à agir de façon spécifique, de comportements expressifs et de sentiments subjectifs (Conty et Dubal, 2018). Une émotion peut aussi être caractérisée, du point de vue de son substrat neuro-physiologique, comme un pattern d’activation spécifique d’un circuit neuronal, c’est-à-dire un système composé de plusieurs unités cérébrales reliées entre elles, qui s’activent de manières différentes selon les émotions ressenties – même si la spécificité de ces circuits n’est pas encore totalement mise à jour. Outre leur définition, la fonction adaptative des émotions et leur caractère inné et universel ou acquis font également l’objet de questionnement et de débats, notamment depuis la publication de L’expression des émotions chez l’homme et chez l’animal par Charles Darwin (1872). Les émotions qui permettent de réagir de manière appropriée dans les situations aversives se seraient ainsi développées au cours de l’évolution. Les mécanismes physiologiques qui y sont associés, comment la modification de la fréquence cardiaque ou l’afflux de sang vers les muscles, favorisent la survie des espèces en cas de danger et jouent par conséquent un rôle dans le contrôle adaptatif des comportements (Mauss et Robinson, 2009).

Certaines branches du savoir comme la sociologie ou l’anthropologie s’intéressent plus particulièrement à la place des émotions en tant que fait social, aux conduites des individus et des groupes, à la manière dont elles s’expriment selon les cultures, et même aux manifestations d’émotions dans le reste du règne animal, en dehors de l’expérience humaine. À la différence du courant évolutionniste, elles adoptent le plus souvent une perspective socio-constructiviste qui les amène à considérer les processus émotionnels comme des constructions socio-culturelles acquises par le biais de la socialisation.

De l’histoire à l’anthropologie en passant par la philosophie, les sciences de l’éducation, la psychologie ou la sociologie, toutes les disciplines des sciences humaines et sociales se sont emparées de la question, offrant une grande diversité d’approches et de cadres conceptuels, ainsi que nous le verrons dans les prochains billets.


Toutes les références bibliographiques se trouvent sur cette page.

Les différents articles ont été rédigés par Pascale Haag (EHESS, BONHEURS, LSN) et Lisa Cognard (université Paris Diderot, CRI, LSN).

Un grand merci à Margot Le Lepvrier pour les illustrations


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